Repenser l’urbanité? La question de ce qui fait l’urbanité, de comment la concevoir et l’imaginer, se pose aujourd’hui pleinement dans des contextes urbains d’une grande complexité. Ce questionnement constitue aujourd’hui l’opportunité de remodeler et d’adapter la ville à des besoins et modes de vie en permanente mutation. La ville, telle que nous l’imaginions dans les années 80 n’a plus rien à voir avec celle qui nous concerne aujourd’hui, même si des préoccupations communes reviennent à l’ordre du jour de manière cyclique. Le retour au centre et à la ville « historique », après la folie moderniste et à Bruxelles les effets liés au traumatisme de la « bruxellisation », l’attention au patrimoine et aux qualités d’inclusion et de convivialité à l’échelle des quartiers fait toujours débat, et renvoie aujourd’hui à des enjeux plus larges : celui de la condition métropolitaine, des besoins d’accessibilité, de continuité, d’inclusion. Le PRDD, récemment soumis à enquête publique, constitue un bon exemple de cette cohabitation d’échelles de réflexion et d’actions : celle des pôles stratégiques et des noyaux d’identité locale.
Marges. La notion d’urbanité est aujourd’hui complexifiée par son rapport aux espaces en marge et leur acceptation comme matière urbaine à part entière.
Ces marges, que Stéphane Bonzani présente comme de véritables potentiels situés entre des réalités fortement contrastées (zones résidentielles et zones agricoles, entre zones naturelles et zones bâties, entre zones historiques et zones plus récemment développées), renvoient aux grandes infrastructures ferroviaires, portuaires ou routières, et ont été longtemps perçues comme au revers de la ville, « composants techniques » à cacher. La dynamique actuelle est pourtant de les repenser de manière plus inclusive alors qu’elles continuent d’héberger des activités dont la ville a besoin, activités souvent dévalorisées aux yeux de la population.
Ces marges renvoient aussi aux espaces résiduels, espaces ouverts mal qualifiés, restes de nature (en dehors de la nature dessinée des parcs), ou des aménagements contrôlés. En se promenant dans le périmètre du PAD, on découvre les composants d’une nouvelle urbanité qui a besoin d’être reconnue et valorisée. Une urbanité latente, en marge, faite de contrastes d’échelles surprenants, mais aussi d’usagers aux demandes et besoins divergents sur un même territoire. Alors que ces vides, étranglés entre les infrastructures métropolitaines, sont vécus comme des ruptures dans le site, ils constituent néanmoins des potentiels énormes pour faire coexister les différentes couches qui composent ce territoire.
A côté de l’intérêt que nous portons à ces fragments, c’est aussi la grande échelle du port qui nous fascine, avec les dimensions du bassin Vergote, comme le « kilomètre étalon » permettant de prendre la mesure des échelles qui se côtoient. Dans cet effort de maîtrise des infrastructures, on découvre des espaces tampons, des endroits dont la seule mission est de mettre à l’écart. Aujourd’hui, ils cachent et défigurent ce contraste iconoclaste qui fait la force de ce quartier.
Plus fascinant encore, ce site révèle par endroits les couches de sa formation, lesquelles ici s’entremêlent et se nouent parfois (l’ancien canal, l’ancien chemin de fer, l’ancien lit de la Senne). Ailleurs, ces couches semblent entrer en collision et induire l’effet « Manhattan ».
Cette urbanité contemporaine qui revendique les marges, au lieu de couvrir ou d’uniformiser les aspérités de la ville, essaye parfois de révéler la complexité de leur processus de formation, de les affirmer pour les donner à voir.